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PRÉCIS DE DÉCISION ARBITRALE: Un différend portant sur des modifications aux modalités de la vente, le recours à des services privés d’inspection et l’établissement d’un rendement raisonnable.

Dans ce différend, l’arbitre conclut ne pas avoir suffisamment de preuves venant démontrer l’accord du réclamant à changer les modalités de la vente pour en faire une vente en consignation. Il note en outre l’absence d’objection de la part du réclamant au rapport de la firme privée d’inspection, ce qui fait en sorte que le rapport pourra servir à déterminer si le produit rencontrait ou non les normes des directives sur l’arrivage des marchandises à son arrivée à destination et, ainsi, à établir ce que constitue un rendement raisonnable.

La Corporation de règlement des différends dans les fruits et légumes (la DRC) a rédigé une série d’articles résumant des décisions arbitrales rendues dans le passé. Par ces articles, la DRC souhaite aider ses membres à mieux comprendre comment s’appliquent les règles concernant le règlement des différends de la DRC (RRD) lors d’un conflit.

Ces règles stipulent notamment que tous les arbitrages menés par la DRC sont confidentiels et à huis clos. En conséquence, aucun nom de parties, d’arbitres ou d’entreprises n’est mentionné. En outre, rappelons que la DRC n’agit qu’à titre d’administrateur du processus; elle ne prend pas part aux audiences. Ce précis est donc produit à partir des seules notes écrites de l’arbitre et peuvent omettre d’importantes informations ayant été révélées lors de soumissions écrites ou de dépositions orales.

EN BREF | LES FAITS | RÉSUMÉ DE L’ANALYSE ET DU RAISONNEMENT 
LA DÉCISION ARBITRALE RENDUE | COMMENTAIRES DE LA DRC

EN BREF

Cette décision arbitrale a été rendue dans le cadre d’un différend entre des parties des États-Unis et du Canada concernant un prétendu changement aux modalités de la vente et le recours à un service privé d’inspection.

À partir des faits qui lui ont été soumis, l’arbitre a conclu ne pas avoir suffisamment de preuve documentaire pour étayer le consentement du réclamant à modifier les dispositions contractuelles pour en faire une vente en consignation. Par ailleurs, le fait que le réclamant ne se soit pas objecté au rapport d’inspection de la firme privée lorsqu’il l’a reçu, fait en sorte qu’il a pu servir à déterminer si le produit rencontrait ou non les directives sur l’arrivage de marchandises de la DRC et, sinon, que serait un rendement raisonnable.

Ce précis se veut un survol des éléments essentiels de la décision arbitrale et de ses répercussions sur les différends commerciaux internationaux.

LA CAUSE : Dossier de la DRC no 19030 – Parties provenant des États-Unis et du Canada
LES FAITS:

Le ou autour du 23 janvier 2013, le réclamant a vendu un envoi de 1035 caisses de 5 melons Canary et 336 caisses de 6 melons Canary à l’intimé, Franc à bord (FAB) au point d’expédition, par l’intermédiaire d’un courtier à 5,25 $US la caisse. Le montant total de la facture s’élevait à 7 197,75 $US, à laquelle s’ajoutait 23,50 $US pour le thermographe.

L’envoi a été expédié de Pompano Beach, en Floride, le 24 janvier 2013 pour arriver à destination à Montréal, au Québec, le 26 janvier 2013.

Le 28 janvier 2013, une inspection a été menée par une firme privée. Le rapport d’inspection a révélé que dans les 1035 caisses de 5 melons, ceux-ci présentaient 22% de surface décolorée et 4,5% de meurtrissures, alors que les 336 caisses de 6 melons étaient affectées par 18% de surface décolorée et 5% de meurtrissures. En outre, la température de la pulpe enregistrée durant l’inspection variait de 49,5 à 50,3 °F.

Le rapport d’inspection a été transmis par l’intimé au courtier du réclamant, qui l’a ensuite retransmis au réclamant par courriel la même journée. La communication entre le réclamant, son courtier et l’intimé montre que l’intimé a convenu de prendre le produit en charge pour le compte du réclamant.

Le 18 février 2013, l’intimé un fourni au réclamant une comptabilisation des ventes qui indiquait des ventes brutes de 5 109,80 $ et des dépenses totales de 5 342,12 $.

Les factures correspondant aux ventes apparaissant dans la comptabilisation des ventes, qui s’étalaient du 29 janvier au 13 février 2013 étaient incluses dans l’exposé en défense de l’intimé.

Dans l’exposé de sa demande, le réclamant a indiqué vouloir obtenir un paiement de 7 221,25 $ pour la vente de ses melons au répondant, le remboursement d’une somme de 208,83 $ (que l’intimé avait déduit du montant de son chèque pour une transaction non liée), et le remboursement des frais d’arbitrage de la DRC de 600,00 $. Dans son exposé en défense, l’intimé a demandé que l’exposé de la demande soit rejeté.

RÉSUMÉ DE L’ANALYSE ET DU RAISONNEMENT DE L’ARBITRE :

I. Les résultats du dossier de la DRC no 19002 ont-ils une quelconque valeur pour aider à la résolution du présent cas?

Les résultats obtenus dans le dossier de la DRC no 19002 sont inapplicables dans ce cas-ci en raison d’une différence fondamentale. Quoique les dossiers nos 19002 et 19030 traitent tous deux d’inspections menées par IPIC International, le réclamant, dans ce cas-ci, a acquiescé, par son inaction, au recours à ce service privé d’inspection. Dans le dossier no 19002, il n’y avait pas de preuve étayant un tel acquiescement.

II. Les parties ont-elles convenu de modifier les dispositions contractuelles de la vente pour la transformer de « FAB au point d’expédition » à « en consignation » ou à « prix ouvert »?

L’intimé doit prouver toute modification aux dispositions contractuelles faisant de cette vente « FAB au point d’expédition » une vente « en consignation » ou à « prix ouvert ». Pour étayer le changement à une transaction en consignation, les preuves soumises doivent montrer que le vendeur a accepté de renoncer à réclamer son paiement tout en permettant la manutention du produit. Des phrases vagues comme « prendre en charge » l’envoi ne suffisent pas à établir un accord de vente en consignation. Dans ce cas-ci, les courriels échangés entre le réclamant et son courtier précisent que l’intimé peut manutentionner les melons « pour le compte du réclamant. » La réponse du réclamant indique son accord à ce que l’intimé en prenne charge mais ne prouve pas qu’il ait renoncé à son droit au prix de vente. Ainsi, le réclamant a donné à l’intimé l’autorisation de vendre les melons à sa place, établissant que la transaction a passé de FAB à « prix ouvert » mais pas en une « consignation. »

III. Quelle crédibilité faut-il accorder au rapport d’inspection numéro U114B090C?

L’intimé déclare que le réclamant a manqué aux garanties de condition d’expédition convenable et soumet en preuve le rapport d’inspection no U114B090C. Puisque le réclamant ne s’oppose pas au recours à une firme privée d’inspection, il consent implicitement aux résultats présentés dans leur rapport.

Les directives sur l’arrivage de marchandises de la DRC précisent qu’une inspection privée n’est pas considérée comme preuve prima facie et que la partie qui la soumet doit en prouver la crédibilité. Les directives d’inspection de la DRC indiquent pour leur part que de telles inspections peuvent s’avérer acceptables si elles rencontrent certaines normes. Le fardeau d’en faire la preuve incombe à la partie qui produit une telle inspection privée.

Or, après avoir examiné le rapport d’inspection et les qualifications de l’inspecteur, l’arbitre conclut que les inspections soumises rencontrent les normes d’inspection de la DRC. Les cinq années qu’a passées l’inspecteur à l’Agence canadienne d’inspection des aliments et le rôle de superviseur qu’il y a joué assurent sa capacité à mener une inspection en bonne et due forme. Le rapport d’inspection indique que l’inspection a été menée selon les normes requises, dont un échantillonnage exhaustif et un relevé exact de l’état des melons. En conséquence, l’arbitre a conclu que le rapport d’inspection constituait une preuve crédible de l’état des melons à leur arrivée à destination.

IV. Le réclamant a-t-il contrevenu à la garantie de conditions d’expédition convenables en expédiant des melons qui ne sont pas arrivés dans un état convenable?

En vertu des normes commerciales de la DRC, le produit, dans ce cas-ci des melons, doit être dans un état qui permettra, sous des conditions normales de transport, une livraison sans détérioration anormale. Les directives sur l’arrivage de marchandises de la DRC stipulent que les melons doivent présenter tout au plus 15% de dommages totaux, avec des maximums de 8% de dommages sérieux et de 3% de pourriture. Or, le rapport d’inspection montre qu’à leur arrivée à destination les melons montraient des dommages bien au-delà de ces limites – 23% pour les caisses de 6 melons et 26,5% pour les caisses de 5 melons. En outre, l’intimé a fourni des preuves crédibles que les conditions de transport étaient demeurées normales. En conséquence, l’arbitre a conclu à un bris de contrat du réclamant, notamment de la garantie de condition d’expédition convenable, en expédiant des melons en mauvais état.

V. La comptabilisation des ventes qu’a produite l’intimé montre-t-elle la revente rapide et appropriée des melons?

Comme agent chargé d’écouler les melons, l’intimé devait rapidement les vendre et en fournir une comptabilisation exacte. Le réclamant a mis en doute la comptabilisation des ventes datée du 18 février 2013 produite par l’intimé parce qu’elle ne montrait ni date pour chaque vente, ni frais d’entreposage réguliers, ni frais de transport en soutien. Après examen, la comptabilisation des ventes omettait bel et bien d’indiquer les dates de chaque vente mais présentait une ventilation des prix. L’intimé a subséquemment soumis tous les documents demandés, dont ses factures de vente pour les différentes dates et la preuve des frais de transport encourus. En conséquence, l’arbitre a conclu que la comptabilisation des ventes de l’intimé rencontre bien les normes commerciales de la DRC et montre que l’intimé a procédé à l’écoulement des melons avec célérité.

VI. Le réclamant s’est-il acquitté du fardeau de la preuve concernant les dommages?

Le réclamant a droit de recouvrer un « prix raisonnable » fondé sur le prix du produit sur le marché au moment de la livraison, après en avoir déduit les frais et les dépenses convenus. Lorsque les parties ne peuvent s’entendre sur ce qui constitue un prix raisonnable, les résultats apparaissant à une comptabilisation des ventes produite rapidement et de la façon appropriée procure habituellement la meilleure preuve de la valeur d’un produit à la livraison. Cela est d’autant plus vrai dans ce cas-ci alors que le réclamant n’a pas produit les taux du marché pertinents.

Telle qu’il a été permis de l’établir, la comptabilisation des ventes soumise par l’intimé, de même que son exposé en défense, montre qu’il a réagi promptement et revendu les melons de la manière appropriée. La comptabilisation des ventes de l’intimé montre des ventes brutes de 5 109.80 $ provenant de la vente des melons, ce qui représente environ 71% du prix de la facture initiale, qui était de 7 221,25 $. Ces produits bruts correspondent au taux de dommages confirmé par le rapport d’inspection. En conséquence, l’arbitre a conclu que le réclamant ne pouvait faire la preuve de dommages subis en lien avec les ventes brutes de melons de l’intimé.

En ce qui a trait aux dépenses déduites par l’intimé, la DRC permet la déduction des dépenses et frais pertinents habituels directement liés à la manutention du produit. Dans ce cas-ci, on ne relève aucune preuve d’un accord particulier entre les parties sur les dépenses pouvant être soustraites des revenus tiré des ventes brutes. La comptabilisation des ventes montre que l’intimé a déduit 274,51 $ pour les frais d’inspection, 23,50 $ pour le monitoring de la température et 3 700,00 $ en frais de transport liés à la vente des melons. L’arbitre a trouvé ces dépenses pertinentes et bien documentées. En conséquence, il a conclu que ces dépenses ont été correctement déduites des revenus tirés des ventes brutes.
L’intimé a également déduit un montant de 1 344,12 $ pour frais d’entreposage. Or puisque ces frais d’entreposage auraient été encourus que les melons soient en bon état ou non, la déduction de ces frais a été rejetée.

En se fondant sur ce qui précède, l’arbitre a conclu que l’intimé pouvait déduire un montant total de 3 998,01 $, générant ainsi un rendement net pour le réclamant de 1 111,79 $. Cette décision donnant au réclamant un rendement net positif plutôt que la perte nette initialement rapportée dans la comptabilisation des ventes, l’arbitre a en outre conclu que l’intimé n’avait pas le droit de se rembourser les 232,33 $ liés à une transaction distincte, faisant en sorte qu’ils doivent être également remboursés au réclamant. Au total, le calcul donne un rendement brut au réclamant de 1 344,12 $.

L’article 48(1)(i) permet à l’arbitre d’ordonner une juste compensation lorsque cela est approprié. Dans ce cas-ci, comme l’intimé a vendu les melons promptement et de la façon appropriée, il a droit à une compensation raisonnable pour ses efforts. La comptabilisation des ventes de l’intimé ne montre aucune déduction pour une commission sur les profits bruts des ventes. Bien que l’intimé n’ait pas demandé qu’il soit ordonné qu’on lui verse une commission raisonnable, l’arbitre a conclu qu’un tel ordre étant pertinent pour que la cause soit équitable. Un taux de commission de 10% sur les ventes brutes est courant dans le secteur agricole et convient tout à fait ici.

Par ailleurs, l’article 53(1)(c) des règles de médiation et d’arbitrage de la DRC permet à l’arbitre de répartir la responsabilité pour les coûts. Ainsi, outre les revenus nets tirés de la vente des melons qui avaient engendré un montant positif pour le réclamant, l’arbitre a aussi attribué à l’intimé la responsabilité de la moitié des coûts encourus par le réclamant pour l’arbitrage, soit 300,00 $.

À la lumière de tout cela, l’arbitre a déterminé que l’intimé devait au réclamant la somme de 1 133,32 $, ventilée de la façon suivante :

ARB 19030 CHART FRENCH

LA DÉCISION ARBITRALE RENDUE :

L’arbitre a ordonné à l’intimé de verser au répondant la somme 1 133,32 $ dans les 30 jours suivant la date de cette décision et sentence arbitrale.

COMMENTAIRES DE LA DRC :

Dans la présente cause, l’arbitre a dû considérer les résultats du rapport d’inspection de la firme privée comme étant le reflet fidèle de l’état du produit à son arrivée à destination. Le réclamant avait convenu de laisser l’intimé prendre charge du produit après avoir reçu le rapport de l’inspection privée auquel il ne s’est objecté ni à ses résultats, ni au fait qu’elle ait été réalisée par une firme privée. Pour les raisons susmentionnées et puisque l’inspection rencontrait les normes d’inspection de la DRC, l’arbitre a conclu que le rapport d’inspection privée constituait une preuve recevable de l’état du produit à son arrivée.

Un autre important facteur à noter dans cette affaire est le changement aux dispositions du contrat. Si renégocier les modalités d’un contrat pour un envoi qui arrive en mauvais état constitue une pratique courante, il faut toutefois retenir qu’en cas de désaccord entre les parties au sujet des modalités discutées et en l’absence de documentation écrite pour étayer la prétention de l’une ou l’autre des parties, elles ont toutes les deux le fardeau de prouver leurs arguments respectifs. La DRC encourage ses membres à utiliser des termes qui sont définis dans ses normes commerciales comme « prix ouvert », « prix après vente » et « en consignation » afin d’éviter de devoir interpréter des expressions vagues comme « manutention », « protection » ou toute autre expression non définie.

Toute entente irrégulière, comme le recours à une inspection privée ou l’emploi de termes restrictifs comme « en consignation », doit avoir été discutée, comprise et convenue par toutes les parties.

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