Parfois. Un tribunal de la Saskatchewan nous révèle quand cela peut être le cas.
Par Anna Katyk*
Dans une cause, South West Terminal Ltd. v Achter Land, 2023 SKKB 116 (la cause « South West »), un juge a statué qu’un émoji « thumbs-up » envoyé par message texte peut signifier l’acceptation d’un contrat. Cela s’est produit à la suite d’un différend entre South West Terminal Ltd. (l’acheteur ou South West) et Achter Land (le vendeur/ Achter), qui faisaient affaire ensemble depuis un bon bout de temps, concluant généralement leurs contrats par courriel ou message texte.
Plus particulièrement, le tribunal a interprété l’émoji « thumbs-up » comme une acceptation de l’offre de l’acheteur, même si le vendeur croyait qu’il accusait simplement réception de cette offre. Le tribunal a retenu la position de l’acheteur, South West, à l’effet que l’émoji constituait une acceptation et un contrat en a donc résulté.
Cette affaire devrait intéresser ceux et celles qui utilisent les messages texte et autres moyens pratiques de communications pour mener leurs affaires. Soyez avertis que les tribunaux pourront vous prendre au sérieux lorsque vous communiquez par émojis ou courts textos.
Le tribunal devait considérer plusieurs enjeux, dont les deux qui sont examinés dans ce commentaire : Est-ce que les parties avaient l’intention de conclure un contrat et ce contrat était-il rédigé par écrit et signé par les deux parties, même si l’acceptation avait été exprimé par un émoji?
South West et Achter entretenaient leur relation commerciale depuis longtemps. Ils avaient auparavant conclu une vingtaine de contrats, habituellement en personne, mais parfois aussi par courriels ou messages texte.
À l’arrivée de la pandémie, les parties ont dû cesser les rencontres en personne et commencé à transiger exclusivement par courriels et textos.
Quatre des contrats conclus entre les parties avant que ne survienne celui en cause l’avaient été par messages texte, Achter répondant chaque fois à partir du même numéro de téléphone cellulaire. Il s’agit-là d’un élément important.
Le premier contrat conclu par message texte avait suivi une conversation téléphonique des parties abordant les dispositions du contrat, que South West a ensuite mis par écrit, signé et pris en photo avant de le texter à Achter avec un message disant « veuillez confirmer les dispositions du contrat pour le blé dur. » Achter a répondu par texto. « C’est bon. » Achter a exécuté le contrat et livré le blé dur à South West.
Les parties ont conclu trois autres contrats par textos dans des circonstances très similaires. À chacune de ces occasions, les parties ont discuté par téléphone, South West a rédigé le contrat, l’a signé puis en a envoyé une image à Achter, lui demandant « veuillez confirmer les dispositions du contrat pour le blé dur. » Achter a répondu respectivement à ces messages : « Ok », « Yep » et « Ok ». Achter a exécuter les trois contrats en livrant le blé dur à South West et ne les a jamais contestés.
Le différend est survenu à la cinquième transaction ainsi conclue.
Encore une fois, les parties ont discuté par téléphone d’un contrat portant sur du lin, après quoi South West a rédigé le contrat, l’a signé puis en a texté une image à Achter avec le message « Veuillez confirmer les dispositions du contrat pour le lin. » Achter a répondu par un simple émoji « thumbs-up ».
Mais cette fois, Achter n’a pas effectué la livraison.
Achter a plutôt argué qu’il n’y avait pas de contrat parce que son émoji ne constituait pas un geste d’acceptation mais un simple accusé de réception de l’offre de South West.
Selon Achter, la différence entre les contrats précédents et celui-ci venait du fait que le grain n’avait pas encore été produit. Or dans les transactions de grain qui n’ont pas encore été récolté, il n’aurait pas accepté de signer un contrat sans une disposition en cas d’acte de la nature. Il n’apparaissait pas clairement sur la photo de South West qu’une telle disposition était incluse. En conséquence, Achter attendait de recevoir une copie complète du contrat par courriel ou par télécopieur avant d’accepter. Achter en a outre argué qu’étant donné le caractère essentiel de la clause pour acte de la nature, les parties n’avaient pu convenir des dispositions de cette clause et n’avaient donc pas formé de contrat.
Tenant compte de l’entrée de l’émoji « thumbs-up » dans l’usage commun, le tribunal a cependant statué que cet émoji « thumbs-up » constituait un geste d’acceptation. Cela, en raison du fait qu’un observateur raisonnable possédant tous les faits aurait conclu que l’émoji d’Achter n’était pas un accusé de réception mais bel et bien l’acceptation de l’offre de South West, de manière très semblable à ses réponses précédentes « C’est bon », « Yep » et « Ok ».
En ce qui a trait à la certitude des dispositions, le tribunal s’est dit satisfait par la partie du contrat envoyée par South West à Achter faisant état de la substance de leur entente. En outre, le tribunal a également relevé qu’Achter n’ayant pas informé South West qu’il n’accepterait pas un contrat sans disposition pour acte de la nature, South West ne pouvait pas nécessairement savoir que cette clause était un élément essentiel sans lequel le contrat n’aurait pu être constitué.
En conséquence, un contrat a donc été constitué par un émoji.
Alors, que nous révèle cette cause?
Elle nous rappelle certains des principes de longue date du droit commun. Les tribunaux ne sont pas limités à un examen strict du contrat et peuvent prendre en considération les circonstances entourant la cause, communément appelé la matrice factuelle, afin de déterminer si les parties avaient l’intention de conclure le contrat.
Une relation commerciale bien établie depuis longtemps fait partie de la matrice factuelle,
Si une disposition est essentielle, elle doit être communiquée à l’autre partie, à défaut de quoi le tribunal risque de considérer qu’elle ne l’est pas.
Si les quatre messages précédents d’acceptation avaient été brefs, ce n’était pas des émojis, Cela n’a toutefois pas empêcher le tribunal de déterminer l’intention d’Achter d’être lié par l’émoji « thumbs up » envoyé à South West en réponse à l’image du contrat de lin.
Est-ce qu’un émoji « thumbs up » va nécessairement constituer un contrat? Non. Pas sans un ensemble de circonstances qui mènerait un observateur raisonnable à conclure que l’émoji constitue un geste d’acceptation. Est-ce qu’un contrat sera formé si la matrice factuelle y tend? Peut-être.
Et il n’y a pas que l’émoji qui ait pu aboutir à ce résultat. Le différend aurait pu survenir avec un « Ok », un « D’accord », un « C’est bon » ou un « Très bien, merci » tout autant. Chacune de ces expressions peut-être vague dans l’abstrait mais est suffisante pour constituer une acceptation avec la bonne matrice factuelle.
Qui plus est, le tribunal a jugé que l’émoji satisfaisait non seulement aux exigences de documentation écrite mais également aux exigences de signature. Il est venu du numéro de téléphone d’Achter et cela équivalait à une signature puisque que cela suffisait à identifier Achter.
La Loi sur la vente d’objets de l’Ontario n’a pas les mêmes exigences de documentation et de signature que le Sale of Goods Act de la Saskatchewan. En fait, la loi ontarienne permet expressément les contrats conclus verbalement.
Ce qu’a l’Ontario, en revanche, c’est la Loi relative aux preuves littérales. Bien qu’elle ne s’applique qu’à certains contrats, comme les contrats de vente immobilière, elle exige de ces contrats qu’ils soient rédigés par écrit et signés par les deux parties. La Loi sur le commerce électronique précise que les exigences de documentation et de signature peuvent être comblés par courriel mais demeure muette quant aux messages texte. Si on applique une grille d’analyse semblable à celle de la vente d’un immeuble, deux parties pourraient conclure un accord d’achat et de vente par message texte. Peut-être même avec un émoji, même si l’auteure vous le déconseille.
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* Anna Katyk pratique en litige commercial et en arbitrage, notamment en matière de lois commerciales. On peut communiquer avec elle à l’adresse [email protected].
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