Nous poursuivons notre série de résumés de décisions arbitrales rendues antérieurement en espérant qu’elle aide les membres à mieux comprendre comment fonctionnent les normes et règles de la DRC qui s’appliquent lors d’un différend. Les règles concernant le règlement des différends de la DRC (RRD) stipulent notamment que tout arbitrage administré par la DRC doit demeurer privé et confidentiel. En conséquence, nous omettons le nom des personnes, arbitres et entreprises en cause. Nous vous rappelons en outre que la DRC n’agit qu’à titre d’administrateur du processus et ne participe pas aux audiences. Ces précis sont donc produits à partir des seules notes de l’arbitre ayant entendu le litige et peuvent ne pas inclure d’importantes informations ayant été révélées lors de soumissions écrites ou de dépositions orales.
Cause : Dossier de la DRC no 19758 – Les parties proviennent des États-Unis et du Canada
Les faits :
Le réclamant a vendu deux envois de couronnes de brocolis mexicains à l’intimé.
1er envoi
- La confirmation de vente datée du 27 juin 2016 montre que le réclamant a vendu 1 248 caisses de couronnes de brocolis à l’intimé.
- La facture no 43030 indique que l’envoi a été vendu FAB sans catégorie à un prix de 8,75 $US la caisse pour un montant total de 10 920 $US.
- L’envoi est arrivé à l’entrepôt de l’intimé, à Toronto, en Ontario, le 30 juin 2016. Le connaissement montre que l’envoi a été reçu sous toutes réserves en raison du pauvre état du produit (tiges creuses). Il mentionne également qu’il n’y avait pas beaucoup de glace dans les caisses et pas de glace sur le dessus des palettes.
- Une inspection a été demandée à l’ACIA et exécutée le jour même où le produit est arrivé. Les résultats de l’inspection affichent des taux de pourriture à 2%, de meurtrissure à 9%, de décoloration à 2%, de décoloration des extrémités coupées à 3% et de pourriture des tiges à 24%. En plus de ces résultats, l’inspecteur a aussi noté des traces de bloc-glace dans la plupart des caisses mais aucune dans certaines autres.
- L’intimé a remis au réclamant une comptabilisation des ventes négative pour les 1 248 caisses, au montant de 7 116,71 $CAN. C’était le résultat de trois ventes rejetées en raison de la qualité du produit et de la déduction des frais de transport, de dédouanement, d’inspection, de contrôle de la qualité, de mise aux rebuts et d’entreposage.
Pour cet envoi, le réclamant voulait obtenir 60% de la valeur de la facture originale (6 552 $US), moins les frais d’inspection (236,70 $CAN) pour un montant total de 6,315,30 $CAN. De son côté, l’intimé cherchait à obtenir 7 116,70 $CAN plus les frais de la DRC de 928,86 $CAN plus intérêts (498,12 $CAN) pour une somme totale de 8 543,68 $CAN.
2e envoi
- La confirmation de vente datée du 11 juillet 2016 montre que le réclamant a vendu 1 344 caisses de couronnes de brocolis à l’intimé.
- La facture no 43220 indique que l’envoi a été vendu FAB sans catégorie à un prix de 8,50 $US la caisse pour un montant total de 11 424, $US.
- L’envoi est arrivé à l’entrepôt de l’intimé, à Toronto, en Ontario, le 19 juillet 2016. Une inspection interne a été effectuée sur les couronnes de brocolis montrant des taux de jaunissement à 4%, de bourgeons enflés à 5%, de meurtrissure à 8%, de tiges creuses à 12%, de décoloration à 6%, de brunissement des extrémités coupées à 6% et de pourriture à 3%.
- Le 20 juillet 2016, l’intimé a demandé une inspection de l’ACIA qui a été réalisée la journée même. Les résultats de l’inspection des couronnes de brocolis affichent des taux de meurtrissure à 5% et de tiges creuses à 45%. L’inspecteur a noté que presque toutes les palettes avaient de 5 à 7 pouces de glace au-dessus d’elles et que tous les volets étaient ouverts, et que presque toutes les caisses de la rangée supérieure avaient des restants de bloc-glace, alors qu’il n’y en avait aucune trace dans les autres caisses des palettes.
- Les parties ont convenu d’un ajustement du prix de 0,65 $US la caisse, réduisant ainsi le prix total à 10 550,40 $US (ou l’équivalent de 7,85 $US la caisse).
- Le 3 août 2016, une communication entre les parties montre que l’intimé a indiqué que le problème de glace avait entraîner de la pourriture, ce qui à son tour a mené à des rejets, estimant les dommages à neuf ou dix palettes et avisant le réclamant de ne pas payer son fournisseur « avant de lui avoir parlé. » Le réclamant a répondu en demandant le paiement complet, en attendant le règlement final de toute réclamation qui pourrait être soumise à l’égard de cet envoi. À son tour, l’intimé a répondu qu’il n’allait coupé aucune facture mais voulait lui parler avant de lui transmettre les fonds.
- E 16 octobre 2016, l’intimé a déclaré avoir un problème avec l’envoi. Le réclamant a nié toute responsabilité relative à la glace, indiquant que, d’après lui, il s’agissait de la responsabilité du transporteur.
Pour cet envoi, le réclamant voulait obtenir le paiement complet de la facture originale de 10 550,40 $US. L’intimé voulait 4 110,65 $CAN plus les frais de la DRC de 928 $CAN plus les intérêts d’un montant de 233,88 $CAN pour un total de 5 273.34 $CAN.
L’enjeu :
- À savoir si l’intimé s’est acquitté de ses obligations conformément aux règles de la DRC après avoir reçu une denrée en mauvais état.
- À savoir si les parties avaient convenu entre elles de prendre en compte le défaut permanent que constituent les tiges creuses.
Analyse et raisonnement de l’arbitre :
1er envoi : Les résultats de l’inspection de l’ACIA sont accablants : Le taux moyen de défauts d’état de 40% qu’ils révèlent excède de beaucoup les tolérances établies dans les directives sur l’arrivage de marchandises de la DRC.
La description par l’intimé du rejet rapide de ses trois tentatives de consignation pour écouler le produit de l’envoi semble bien correspondre à ce qu’on pourrait s’attendre de produits montrant un tel niveau de détérioration. L’argument du réclamant à l’effet que les autres 60% de « bons » produits auraient dû être récupérés, remballés puis vendus au prix normal du marché ne correspond pas à la réalité d’un problème d’état de cette ampleur.
Les défauts d’état sont progressifs par définition, continuant inéluctablement à empirer. On devrait normalement s’attendre, avec le passage du temps, à ce que la moyenne de 40% de défauts identifiée par l’ACIA aille en empirant pour atteindre jusqu’à 45, voire 50% ou plus au cours de la semaine suivant la date de l’inspection. Cela affecterait assurément les produits qui passeraient de conditions réfrigérées à l’air ambiant, durant leur trajet le long de la chaine de consommation jusqu’à la place d’affaire de l’entreprise, et tout cela sous le chaud soleil estival de Toronto (avec des maximums de 73 à 86oF durant les 15 jours qui ont suivi l’arrivée de l’envoi dans la Ville-Reine.)
Il serait déraisonnable de s’attendre à ce que même le plus expérimenté et habile des ré-emballeurs puisse effectuer un tel travail avec un taux de défauts si élevé et ramener les nouvelles portions remballées à une qualité presque convenable pour les 7 à 10 jours nécessaires à l’écoulement des produits le long de la chaine d’approvisionnement. Qui plus est, le réclamant ne semble pas avoir demandé un tel effort de remballage avant que la cargaison n’ait été mise aux rebuts. Bien que la disposition finale de l’envoi me semble crédible, il me faut noter que, procéduralement, l’intimé ne s’est pas conformé à l’une des règles de base de la DRC : lors d’une mise aux rebuts, il incombe au destinataire (c’est-à-dire à l’intimé) d’obtenir un certificat de mise aux rebuts obtenu d’une inspection par une tierce partie fiable (c’est-à-dire de l’ACIA). Alors que la comptabilisation des ventes de l’intimé pour cet envoi comprenait des frais de 2 745,00 $CAN pour la mise aux rebuts et 289,35 $CAN pour le témoin de l’ACIA, aucun certificat de mise aux rebuts de l’ACIA n’a été soumis en preuve. Le défaut par l’intimé à se conformer à l’exigence de certificat de mise aux rebuts constituera un facteur important lors du calcul des dommages pour cet envoi.
2e envoi : Ce cas ressemble beaucoup à une cause soumise au PACA en 1994 (Anthony F. Martori, et al., 53 Agric. Dec 887). Cette décision rendue par le PACA portait sur un cas où l’on avait relevé 37% de tiges creuses dans un envoi de brocolis, avec un écart allant de 7 à 79%. Pour citer le jugement, « même en l’absence de pourriture, le haut taux de tiges creuses de brocolis montre qu’ils sont invendables… Dans ce cas-ci, des brocolis avec 37% de tiges creuses peuvent difficilement être mis en marché sans objection. En conséquence, nous concluons que les réclamants sont en bris de contrat avec l’intimé. »
Si cela était vrai dans le cas de brocolis avec 37% de tiges creuses, ce sera encore plus vrai pour des brocolis présentant une moyenne de 45% de tiges creuses. Quant à la prétention du réclamant à l’effet qu’il existait une entente préalable à la vente qui excluait les tiges creuses comme cause de réclamation, je prends note des affidavits soumis par des individus liés au réclamant mais l’intimé n’a présenté aucune documentation pertinente qui aurait pu corroborer ses prétentions.
Lorsque les parties à une transaction s’entendent pour outrepasser les règles prévues par défaut, les règles de la DRC exigent que les deux parties en conviennent formellement par écrit. Bien qu’il puisse y avoir eu un accord verbal à cet égard, le manque de corroboration présentée m’empêche d’accorder du crédit à cette thèse. Même si, en raison des précédents, je suis enclin à considérer favorablement la demande reconventionnelle de l’intimé, je trouve que plusieurs enjeux viennent compliquer la situation :
- Le calcul des dommages avec le PACA exige une comparaison entre la valeur qu’aurait eu le produit s’il était arrivé dans un état convenable et les recettes brutes d’une revente rapide et appropriée. De façon regrettable, l’intimé n’a pas fourni une comptabilisation adéquate pour cet envoi de brocolis.
- Alors que l’intimé s’était montré très vocal dans ses communications initiales avec le réclamant concernant le manque de glace sur le dessus des brocolis (pour lequel il a été indemnisé), je n’ai pas relevé un tel empressement à faire savoir son intention de rejeter le produit ou de le manutentionner pour le compte de l’expéditeur (comme c’était clairement le cas avec le 1er envoi). En fait, je n’ai trouvé qu’un seul message de l’intimé, daté du 3 août (14 jours après l’inspection initiale), dans lequel il indique au réclamant la présence d’un problème avec l’envoi qui pourrait impliquer jusqu’à neuf ou dix palettes. L’échange de courriels subséquent, qui m’a été soumis, est daté du 6 octobre, indiquant encore une fois : « NOUS AVONS UN PROBLÈME AVEC CET ENVOI ». Ni l’un ni l’autre de ces deux courriels ne peut être considéré comme étant un avis donné en temps opportun par l’intimé de ses intentions par rapport à cet envoi.
- Le rapport de qualité à la réception de l’intimé, daté du 19 juillet, décrit l’apparence générale de cet envoi comme étant « BON ». L’inspecteur exprime en outre les commentaires suivants : « J’ai trouvé quelques meurtrissures, un peu de couronnes jaunies et décolorées. Dans l’ensemble, c’est bon. Les caisses n’ont pas de glace. Seules les caisses et palettes du dessus ont beaucoup de glace. Les couvercles des caisses sont ouverts. Il faut remettre de la glace dans les palettes. »
Ces enjeux viennent mitiger la puissance de l’argument de l’intimé à l’égard de la qualité marchande de l’envoi et seront pris en considération dans le calcul des dommages pour cet envoi.
La décision arbitrale rendue :
Pour le 1er envoi, l’arbitre a rejeté la réclamation du réclamant sur la base du raisonnement exposé précédemment et penché en faveur de la demande reconventionnelle de l’intimé pour un montant de 8 543,68 $US, moins une réduction de 25% de la valeur en raison de l’omission de l’intimé d’obtenir un certificat de rejet valide au moment de mettre les produits aux rebuts, pour un montant net de 6 407,76 $US.
Pour le 2e envoi, l’arbitre, s’appuyant encore une fois sur le raisonnement détaillé plus haut, a rejeté la réclamation du réclamant et penché en faveur de la demande reconventionnelle de l’intimé. Malheureusement pour l’intimé, toutefois, son omission d’informer le réclamant du rejet de la cargaison constitue un geste d’acceptation de l’envoi, ce qui exige, en vertu des règles de la DRC, une comptabilisation entière et exacte des ventes. Or, aucune comptabilisation n’a été soumise dans ce cas-ci.
Alors qu’il ne faisait aucun doute pour l’arbitre que des réductions étaient requises pour écouler la portion de brocolis à la tige creuse sur le marché, il ne pouvait évaluer adéquatement ce que de telles réductions pouvaient représenter, ni l’ampleur des dommages financiers qu’aurait pu subir l’intimé pendant ce processus. Sans base solide pour établir tout autre jugement, je statue en faveur du réclamant pour un montant de 10 550,40 $US. Si l’intimé avait suivi les règles de la DRC à l’égard de la prestation d’avis en temps opportun et de la comptabilisation des ventes, cette décision aurait pu être considérablement différente.
Commentaires de la DRC :
En ce qui a trait au premier envoi, l’intimé s’est conformé aux normes commerciales de la DRC en donnant avis au réclamant en temps opportun d’un problème à l’arrivée, en demandant une inspection de l’ACIA également en temps opportun. Il a en outre fourni au réclamant une comptabilisation acceptable des ventes montrant des ventes et des rejets raisonnables et y déduisant les coûts encourus en raison du bris de contrat
Pour ce qui est du deuxième envoi, les résultats de l’inspection de l’ACIA montrent que plus du tiers de l’envoi est affecté de tiges creuses, ce qui constitue un défaut de qualité ou défaut permanent, ce genre de défaut n’est normalement pas pris en considération dans le calcul taux total de défauts d’une transaction sans catégorie convenue entre les parties. Lorsque de tels défauts de qualité ou permanents sont substantiels, ils affectent la garantie de qualité marchande. La garantie de qualité marchande est la garantie que le produit convient aux objectifs pour lesquels il est vendu.
Bien que l’intimé ait demandé en temps opportun l’inspection qui a montré la présence de tiges creuses dans 45% des couronnes de brocolis, l’arbitre a noté que l’intimé ne s’en est pas plaint mais a plutôt abordé le manque de glace, affirmant que le reste avait l’air bon. En outre, l’intimé n’a pas produit de comptabilisation des ventes tel que requis, empêchant ainsi l’arbitre de comprendre comment les tiges creuses avaient pu affecter ses ventes.
Pour en savoir davantage sur les articles des normes commerciales de la DRC qui se sont appliqués dans ce différend, veuillez consulter les références suivantes :